63
L’après-midi
du 10 septembre touchait à sa fin. Dinny jouait dans le petit parc qui se
trouvait juste au nord du quartier des hôtels et des casinos. Assise sur un
banc, sa « mère » pour la semaine, Angelina Hirschfield, bavardait
avec une jeune fille arrivée à Las Vegas cinq semaines plus tôt, une dizaine de
jours avant elle.
Angie Hirschfield avait
vingt-sept ans. La jeune fille, vêtue d’un short en jeans très serré et d’un
minuscule débardeur qui ne laissait absolument rien à l’imagination, en avait
dix de moins. Il y avait quelque chose d’un peu obscène dans le contraste entre
son corps déjà parfaitement formé et l’expression enfantine, boudeuse et plutôt
vide de son visage. Apparemment interminable, sa conversation était des plus
monotones : vedettes de rock, sexe, son sale boulot qui consistait à
nettoyer les armes de leur graisse à Indian Springs, sexe, sa bague de diamants
sexe, les émissions de télé qui lui manquaient, sexe.
Angie aurait bien voulu que la
jeune fille trouve quelqu’un pour soulager ses appétits et qu’elle la laisse
enfin tranquille. Et elle espérait que Dinny aurait au moins trente ans avant
de tomber sur cette fille comme mère de la semaine.
Justement, Dinny levait les yeux,
un sourire radieux sur les lèvres.
– Tom ! Salut, Tom !
À l’autre bout du parc, un homme
de haute taille aux cheveux blonds comme les blés s’avançait en traînant les
pieds, une grosse sacoche battant contre sa jambe.
– On dirait qu’il est saoul,
dit la jeune fille à Angie.
– Non, c’est Tom, répondit
Angie en souriant. Il est simplement…
Mais Dinny courait déjà à toutes
jambes.
– Tom ! Attends, Tom !
hurlait-il à pleins poumons.
– Dinny ! Salut ! fit
Tom en souriant.
Dinny sauta au cou de Tom qui
laissa tomber sa sacoche et le prit dans ses bras.
– On fait l’avion, Tom !
On fait l’avion.
Tom prit Dinny par les poignets
et commença à le faire tourner autour de lui, de plus en plus vite. Sous l’effet
de la force centrifuge, les jambes de Dinny furent bientôt à l’horizontale. L’enfant
hurlait de joie. Après deux ou trois tours, Tom le reposa tout doucement par
terre.
Dinny fit quelques pas en
titubant, essayant de retrouver son équilibre.
– Encore, Tom ! Encore !
– Non, tu vas dégueuler. Et
Tom doit rentrer chez lui. Putain, oui.
– D’accord, Tom. Au revoir !
– J’ai l’impression que les
préférés de Dinny sont Lloyd Henreid et Tom Cullen, dit Angie. Tom Cullen est
un peu simple, mais…
L’expression de la jeune fille la
fit s’arrêter. Elle observait Tom en clignant les yeux, pensive.
– Est-ce qu’il est arrivé
avec quelqu’un ? demanda-t-elle.
– Qui ? Tom ? Non,
pas que je sache. Il est arrivé seul il y a une semaine et demie à peu près. Il
était avec les autres, dans la Zone, mais ils l’ont mis dehors. Tant pis pour
eux, tant mieux pour nous.
– Il n’est pas venu avec un
muet ? Avec un sourd ?
– Un sourd-muet ? Non, je
suis pratiquement sûre qu’il était seul. Dinny l’adore.
La jeune fille regarda Tom s’éloigner.
Elle pensait à un flacon de Pepto-Bismol. Elle pensait à ces mots griffonnés
sur un bout de papier : Nous n’avons pas besoin de toi. C’était au
Kansas, il y avait mille ans de cela. Elle leur avait tiré dessus. Elle aurait
bien voulu les tuer, surtout le muet.
– Julie ? Ça va ?
Julie Lawry ne répondit pas. Elle
suivait des yeux Tom Cullen. Puis elle esquissa un sourire.